s'Adapter

Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. Car les bien portants ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer.


Depuis, l’aîné a grandi sans se lier. Se lier, c’est trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu’on aime peuvent disparaître si facilement. C’est un adulte qui a associé la possibilité du bonheur à celle de sa perte. Vents mauvais ou cadeaux, il ne laisse plus à la vie le bénéfice du doute. Il a perdu la paix. Il a rejoint ces êtres qui portent au cœur un instant arrêté, suspendu pour toujours. En lui quelque chose est devenu pierre, ce qui ne signifie pas insensible mais plutôt endurant, immobile, implacablement identique au gré des jours.


Mais personne n’était dupe, elle était une Cévenole absolument. D’abord parce qu’elle répétait, sans même s’en apercevoir, « loyauté, endurance et pudeur », formule magique qui semblait régler tous les problèmes.

Personne ne comprit réellement qu’à cet instant-là, une fracture se dessinait. Bientôt, les parents parleraient de leurs derniers instants d’insouciance, or l’insouciance, perverse notion, ne se savoure qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir.


Chacun composa avec sa réserve de courage. Les parents moururent un peu. Quelque part, dans le tréfonds de leur cœur d’adultes, une lueur s’éteignit.


Pour toujours son frère est mort la veille. On lui a répété que le temps répare. En vérité , il le mesure lors de ces nuits, le temps ne répare rien , au contraire. Il creuse et ranime la douleur, chaque fois un peu plus intense . C'est tout ce qui lui reste de l'enfant, le chagrin. Il ne peut s'y soustraire; cela voudrait dire perdre l'enfant définitivement.