Rien de grave

Et puis la tristesse passera, elle aussi, comme le bonheur, comme la vie, comme les souvenirs qu'on oublie pour moins souffrir.


J'en ai marre de ce froid en moi. Marre de ne plus avoir chaud ni mal. Marre de passer à coté de la vie, du bonheur, du malheur, des gens, des corrida, de la mort. Merde la fausse vie. Merde le noir, le silence, l'anesthésie, les chats, les jeans. Il a raison, Pablo. Faut arreter de pas vivre. Faut arreter de pas pleurer. Faut arreter la rétention de larmes, ça va me donner de la cellulite dans le visage, à force. Faut que t'arretes d'avoir peur d'etre vivante. Chaque fois que tu mets la radio à fond dans la salle de bains, je sais que tu vas pisser. Faut arreter, Belle du Seigneur. Faut arreter l'amour sublime, les amants beaux et nobles et parfaits. Le matin, on est chiffoné, on a mauvaise haleine, c'est comme ça, faut accepter, c'est ça aussi la vie. La vie c'est qu'un jour je quitterai Pablo, ou Pablo me quittera. Je lui préférerai quelqu'un ou il en aura marre de moi, et ce sera triste mais ca ne sera pas tragique. Et puis la tristesse passera, elle aussi, comme le bonheur, comme la vie, comme les souvenirs qu'on oublie pour moins souffrir ou qu'on mélange avec ceux des autres ou avec ses mensonges. […] La vie est un brouillon finalement. Chaque histoire est le brouillon de la prochaine, on rature, on rature, et quand c'est à peu près propre et sans coquilles, c'est fini, on n'a plus qu'a partir, c'est pour ça que la vie est longue. Rien de grave."


Saloperie de vie. Un sale chagrin d'amour et hop ! On devient une petite garce au coeur sec qui regarde méchamment les gens gentils et qui n'est même pas foutue de pleurer à l'enterrement de sa grand-mère.


Ca veut dire quoi être amis quand on s'est tant aimés, ça n'existe pas ce glissement-là, c'est même immoral de passer de ça à ça, c'est hors de question.


J'étais cassée en mille morceaux, sonnée, et elle, elle me disait bon débarras c'était pas un garçon pour toi, c'était un bimbo, un faiseur. Un faiseur? un faiseur de quoi? Un faiseur de vide, qui agite les bras, qui brasse le vent, comme ça, tu vois, c'est ce que ma dit ma grand-mère quand le faiseur m'a quittée.


Tristesse plus tristesse, je sais pas si ça fait double ou demi-tristesse. Par certains côtés, ça double. On se dit: et puis quoi encore? qu'est-ce qui va encore me tomber sur la tête? est-ce qu'il y a une limite au chagrin? mais c'est vrai qu'en même temps ça m'a occupée de m'occuper de maman, ça m'a permis de mettre un nom sur une douleur qui n'en avait pas, j'avais une raison valable d'être malheureuse et je me suis servie de ce chagrin-là pour atténuer l'autre, je me suis servie de la maladie de maman pour blanchir un sale chagrin d'amour. Je me maudis de dire cela. Je me maudis de le penser. Je me déteste.


C'est vrai que j'ai eu envie de mourir quand Adrien est parti, mais je n'avais jamais été rompue c'est pour ca. C'est toujours moi qui partais, avant, quand ca ne comptait pas. Alors je sais qu'on ne peut pas rompre bien. Je sais que c'est toujours atroce et que ca fait toujours atrocement mal, et que le rompu a toujours le mauvais role; et qu'il a toujours tendance a dire les salauds, les méchants, une gentille fille comme moi, un si brave garcon, comment est ce qu'on a pu nous faire ca a nous ?