NOREK : Entre deux mondes

https://www.youtube.com/watch?v=xjSfBZcivt8

https://youtu.be/xjSfBZcivt8?t=5

https://youtu.be/xjSfBZcivt8


 Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller là où ils veulent. C’est une situation de blocage, on va dire. […] Vous croyez aux fantômes, Passaro ?
- Je ne me suis jamais posé la question. Vous parlez des esprits qui hantent les maisons ?
- Exact. Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes. Ils me font penser à eux, oui. Des âmes, entre deux mondes…


Les accords du Touquet, [...] .Le texte place la frontière de l'Angleterre en France à Calais, et pas à Douvres. Et pour que ça reste comme ça, les British paient cher. Dernièrement, plus de vingt millions d'euros rien que pour mettre en place toute la ligne de barbelés qui protège la nationale et l'autoroute des attaques de migrants.


– (...) Leur but, c’est Youké, comme ils disent. United Kingdom. L’Angleterre. Ils restent persuadés que le travail au black y est intarissable et que les statuts de réfugié s’y distribuent comme des bons points.
– Et ce n’est pas le cas ?
– Il y a cinq ans peut-être, mais avec le Brexit, l’Angleterre s’est renfermée. Contractée même. Comme tous les pays riches qui n’ont qu’une seule trouille, c’est de voir l’autre partie du monde venir se décrotter les pompes sur leur paillasson.


Adam avait été jusqu'ici un policier exemplaire, formaté, confiant en son pays et en son dirigeant.
Et plein d'espoir quand, avec les révolutions arabes, un vent de démocratie avait soufflé sur la Syrie.
Comme en Tunisie ou en Egypte, le peuple réalisait soudain que le combat pour ses libertés était possible.
Mais ce mouvement, aussi noble qu'en soient les causes, fut rapidement réprimé dans le sang de milliers de manifestants, menant le pays dans une guerre civile.
Et profitant de cette faiblesse, comme un virus dans un corps exténué, l'Etat islamique enfonça encore un peu plus profondément les griffes de sa violence et de son obscurantisme.
Il y eut dès lors, pour deux bourreaux, une seule et même victime. La dictature de Bachar el-Assad et la folie de Daesh, contre le peuple syrien désarmé.
C'est à la suite de cette révolte pacifique, assassinée par l'armée, qu'Adam avait décidé de s'impliquer. Refusant de n'être qu'un simple témoin de l'agonie de son pays, il fit allégeance à une cellule rebelle de l'Armée syrienne libre et devint un opposant du gouvernement de la manière la plus risquée. En l'infiltrant, via la police militaire.


Le poids des tristesses ne se compare pas .


Le flux des migrants ne s’est pas arrêté avec la fermeture du camp de Sangatte en 2003. Il s’est évidemment poursuivi, sans plus nulle part où les accueillir, et avec toujours la même volonté de passer en Angleterre. Et donc, de rester pas loin des ports pour traverser la Manche. Résultat, ils se sont mis à squatter chaque maison vide, chaque immeuble abandonné, les jardins, les parcs, les ponts et c’est vite devenu invivable. Alors il a fallu trouver un endroit pour les parquer. Le long de la côte, à l’écart du centre-ville, entre une forêt et les dunes, il y avait un ancien cimetière qui jouxtait une décharge. L’État a fait place nette à coups de bulldozer et on a invité les migrants à s’y installer il y a un an de ça. Au début, ils sont arrivés discrètement, une petite centaine de curieux tout au plus, puis l’info a traversé la planète et ils sont venus par milliers. La Jungle était née.
– C’est légèrement inapproprié. Qui a trouvé le nom ?
– N’y voyez pas de racisme, ce sont les migrants iraniens eux-mêmes. Quand ils sont arrivés sur place, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils ont appelé l’endroit «la Forêt». En langue perse, jangal. Ici, on a entendu «jungle», prononcé à l’anglaise. Un simple quiproquo. Ensuite, ils y ont été consciencieusement oubliés. Mais pas par tout le monde. Les médias se sont emparés du sujet et bientôt, Calais n’était plus une des villes trésors de la côte d’Opale, mais celle des migrants et du problème de leur accueil. Le tourisme s’est cassé la gueule en un temps record, même les Anglais hésitent à venir depuis que leurs tabloïds parlent de guerre civile. L’immobilier a perdu près de quarante pour cent et les magasins se sont mis à fermer. Notre plus grosse économie et notre vivier d’emplois ici, c’est notre port. Dix millions de passagers par an traversent la Manche via Calais et c’est aussi le premier port d’Europe pour le trafic roulier.
– Ce sont des bateaux cargos qui chargent les camions vers l’Angleterre, précisa Erika à l’attention de Bastien qui n’avait rien d’un marin.
– Mais les chauffeurs routiers sont morts de trouille et les sociétés de transport cherchent d’autres ports pour éviter Calais.
– Juste à cause des migrants ? s’étonna Bastien.
Lizion lui adressa un regard de biais, comme s’il avait mal évalué l’ampleur de ses lacunes. Sa voix se fit presque condescendante.
– Vous savez comment ils essaient de monter dans les camions tout de même ? Les assauts sur les poids lourds. Les agressions de chauffeurs. Les accidents provoqués comme des attaques de diligence. Les barrages et les incendies sur l’autoroute. Ça vous parle ?